Didier Mupaya : Masques et mémoire du Congo

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Préface

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Le titre de cet ouvrage, que j’ai le grand plaisir de préfacer, m’amène d’emblée à évoquer l’un des célèbres historiens du Congo, le père François Bontinck (cicm, 1920-2005). Il ne cessait de répéter ceci à ses étudiants : « Qui ne sût se limiter ne sût faire œuvre scientifique » ; et d’ajouter : « Le titre d’une thèse ou d’un travail scientifique est semblable à une mini-jupe, c’est-à-dire qu’il laisse aisément entrevoir le corps du sujet. »

Dans « Masques et mémoire du Congo. Puissance de communication interculturelle », Didier Mupaya a su véritablement circonscrire le sujet, se limitant aux masques phende, qu’il tente de décrypter sans ambages grâce à une grille de lecture que lui procurent les sciences de la communication, les sciences anthropologiques, philosophiques et théologiques, reflétant ainsi un background riche d’érudition au regard aussi de la densité de ses notes bibliographiques.

L’auteur part d’une problématique, qu’il formule ainsi : « Que pouvons-nous apprendre de l’altérité, de la communication, des conflits, de l’intégration de l’autre et de la convivialité interculturels, à partir d’un masque comme Mbangú dont les nuances dans la physionomie intègrent astucieusement d’impressionnants contrastes du noir et du blanc dans une “esthétique de la laideur” » ? Par une approche iconologique appréciable, il y répond en six points essentiels. Une conclusion récapitule ses belles pages quoique inégalement réparties.

Mû par des veines missionnaires, d’une part, et par la rigueur scientifique, d’autre part, l’auteur s’est exercé à revisiter un pan de l’histoire du Congo et les célébrations culturelles d’un terroir : celui-là même que Théodore Mudiji Malamba, philosophe et historien de l’art, avait méthodiquement investi, cadastré et méticuleusement scruté auparavant, au point de devenir incontestablement un « analyste et herméneute chevronné des masques africains ».

Dans le sillage de ce vétéran, sur lequel il prend largement appui, Didier Mupaya trouve du bonheur à étaler, dans une démarche intelligente et séduisante, sa passion pour l’art et pour les masques, expressions majeures du patrimoine culturel africain et congolais. A travers cette étude se dégage sa perception de l’histoire coloniale, des rapports d’altérité entre les individus et entre les systèmes de pensées confrontés à un vivre-ensemble conflictuel. En vérité, à travers les masques, les protagonistes de l’action coloniale étaient mis en scène, parodiés, rejoués, caricaturés, ironisés voire dénoncés.

Mais au-delà d’une simple lecture spectrale des masques, spécialement du masque Mbangú, le présent ouvrage étudie en profondeur la grammaire esthétique des masques phende pour en élucider, selon une vision différente et innovante, l’histoire coloniale, ses méthodes, son langage et son contenu qui, déjà, étaient repris par sublimation au travers d’une iconographie abondante, certes, mais insuffisamment ou tendancieusement exploitée. Les remarquables allusions à l’histoire douloureuse du Congo éclairent la compréhension du message dont sont chargés les différents masques.

Le lecteur assidu ne s’empêchera pas d’admirer des synthèses d’histoire : des condensés de l’histoire du Congo, mais aussi des séquences de l’histoire d’ethnies congolaises, et des relations entre ethnies, par exemple, entre Phende et Yaka, qui éclairent des formes d’expressions esthétiques. Il y a donc lieu de retenir que la conciliation mise à nu entre les masques et l’histoire coloniale semble, ici, donner une réponse éloquente aux patrimoniteurs et aux professionnels de musées, appelés, très souvent, à transmettre les masques aux jeunes générations. S’ouvre ainsi une voie supplémentaire pour présenter le patrimoine culturel aux milieux scolaires, assoiffés à la fois d’esthétique et de connaissances historiques, et fournir aux chercheurs de nouvelles pistes d’investigation.

En même temps, avec Théodore Mudiji, cet ouvrage conduit le lecteur à s’émerveiller des peintures contemporaines de Roger Botembe qui, par le trans-symbolisme du masque africain, laisse à voir autrement l’« homme des douleurs », sous le signe du masque Mbangú, assimilé à la fois au Christ Jésus et à l’homme congolais. Un Christ au visage tordu, c’est-à-dire « un Christ peiné, qui boude et désapprouve toute offense et tout mal faits à un frère, à une sœur, à un semblable, en l’occurrence à l’homme africain ». C’est autant dire que l’intérêt et la nouveauté de cette publication résident aussi dans l’apport à une christologie renouvelée, fondée sur des matériaux artistiques.

Ce texte de Didier Mupaya apparaît donc comme une réappropriation critique et une mise à jour heureuse et féconde de certaines thèses de Mudiji Malamba, à travers ses recherches depuis Le langage des masques africains. Etude des formes et fonctions symboliques des Mbuya des Phende en 1989 jusqu’au Golgotha des masques africains dans l’art sacré de Roger Botembe en 2003.

Tandis que l’étude des masques africains demeure encore un vaste champ ouvert qui demande d’être toujours repris à nouveaux frais, l’ouvrage de Mupaya en est, dans une certaine mesure, un approfondissement et un étalage à ciel ouvert réussi dans une filière typologique et majeure de leur langage, à savoir la thématique de l’altérité collective vue sous l’angle de la communication interculturelle.

En effet, non satisfait d’avoir su dégager, en accentuant certes, la dimension communicationnelle des masques tels que déjà étudiés par Mudiji, l’auteur replace son contenu dans une contextualisation moderne des savoirs ancestraux, en l’occurrence la communication interculturelle dans et par le langage des masques. Dans les trois derniers points, qui déploient l’argumentaire de la réponse à la problématique principale, l’auteur fait montre d’un goût raffiné et de perspicacité au regard des masques qu’il a retenus. Ceci nous vaut dans l’ensemble une savoureuse présentation et une belle analyse iconologique des masques bien choisis pour leurs signifiances insoupçonnées.

Je recommande aux professionnels de musées, aux historiens d’art, aux enseignants et aux autres acteurs culturels d’arts africains de s’approprier les intuitions didactiques manifestement opératoires que cet ouvrage apporte, au service de la redécouverte, du décryptage et de l’initiation aux arts congolais, ou africains en général, qui mettent en œuvre les mêmes principes de communication.

 

                                                           Prof. Joseph IBONGO

Historien de l’art, Directeur Général

de l’Institut des Musées Nationaux du Congo

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